Dans les pas de Jean-Louis Etienne

Persévérant, patient, passionné, curieux… la liste est longue pour qualifier l’explorateur Jean-Louis Etienne. Aussi longue que la liste de ses explorations et d’une envie débordante de découvrir ce qui l’entoure. Il nous le prouve au travers de cet entretien, accordé alors qu’il investit toute son énergie dans le projet Polar Pod, un projet de navire océanographique destiné à l’étude de l’océan Austral qui encercle l’Antarctique.

Quand vous êtes-vous convaincu que vous seriez un jour explorateur ?

Jean-Louis Etienne : Depuis tout petit mon quotidien c’était jouer dehors, découvrir la vie sauvage… J’ai grandi à la campagne et j’ai toujours été curieux de ce qui m’entourait. Je me rappelle que nous avions à la maison le magazine Illustration qui parlait de politique, d’économie, de recherches scientifiques, de sport, etc. – et ce que j’adorais c’était regarder les nombreuses photographies et les dessins. Je voyageais depuis mon salon et cela a fait naître l’envie d’explorer. Elle est donc arrivée très tôt et elle ne m’a pas quitté avec l’âge. Pour devenir explorateur, il n’y a bien sûr pas un parcours précis à suivre. J’ai d’ailleurs eu un parcours scolaire particulier. Dès le collège j’ai été orienté vers une formation professionnelle de tourneur-fraiseur alors que j’aurai préféré m’orienter vers le métier de menuisier. Ce parcours scolaire m’a mis très rapidement face aux réalités de la vie, j’ai acquis des compétences, sans savoir réellement que cela me serait très utile plus tard et surtout cela m’a redonné confiance en moi. J’ai obtenu mon CAP puis j’ai pu repartir sur un bac technique. J’aurai pu m’orienter ensuite vers une carrière d’ingénieur ou d’architecte, mais j’ai finalement décidé de faire médecine. Je me suis passionné pour la chirurgie et notamment la chirurgie orthopédique qui me rappelait le geste manuel que j’ai toujours eu. Cependant malgré cette passion pour la médecine, j’ai très rapidement fait renaître mes envies d’ailleurs. J’ai d’abord postulé pour faire mon service militaire en Antarctique puis après avoir obtenu mon diplôme de médecine, j’ai très vite proposé mes services de médecin dans le cadre de projets d’expéditions. De 1974 à 1985, j’alternais entre remplacement de médecins généraliste et des expéditions en Himalaya ou en mer aux côtés de Tabarly notamment. Je pouvais ainsi gagner ma vie et rester libre pour partir en expédition.

Quel a été le déclic pour lancer vos propres expéditions ?

J-L. E. : A l’âge de 40 ans, j’ai décidé de faire ma propre expédition au Pôle Nord. J’avais côtoyé les 10 années précédentes les meilleurs marins et alpinistes, et j’avais donc acquis une grande expérience. Je savais que cela ne serait pas facile mais je voulais inventer mon histoire. En 1985, je me suis donc lancé à la découverte en traîneau de cet univers hostile qu’est le Pôle Nord. Au bout de 15 jours, j’ai dû abandonner. Cela a été un échec difficile à encaisser mais j’ai tout de suite compris mes erreurs et je savais que ce ne serait pas qu’un coup d’essai. Ce type d’aventure est une véritable école de la persévérance. Cela a marqué ma vie et a confirmé que désormais les régions polaires allaient faire partie de ma vie. Un an après, je suis donc reparti à l’assaut du Pôle Nord, beaucoup mieux préparé et 63 jours après mon départ, j’ai atteint mon objectif : atteindre le pôle Nord en tirant mon traineau, avec pour seul guide le soleil. Et oui le GPS n’existait pas à l’époque !

Vos expéditions permettent de sensibiliser les Etats et l’opinion sur les problèmes environnementaux. Etait-ce un objectif que vous avez donné dès le début à vos projets ?

J-L. E. : En 1986, on ne parlait pas encore de changement climatique. La seule préoccupation qui concernait les régions polaires était de s’assurer, dans l’intérêt de toute l’humanité que l’Antarctique reste une terre de science et de paix. Cela s’est traduit par la signature en 1959 du Traité Antarctique par les pays qui y réalisaient des observations scientifiques à partir de bases permanentes dans un premier temps, puis rejoints par des pays membres des Nations Unies. En 1990, j’ai animé une conférence sur l’Antarctique, avec le grand glaciologue Claude Lorius. Ce dernier, qui effectuait depuis plusieurs années des carottages de glace à la base soviétique Vostok, a fait prendre conscience des risques que le réchauffement climatique faisait courir à l’humanité. Nous sommes rentrés dans une nouvelle ère et l’Homme est devenu un acteur du climat. A partir de ce moment, je me suis transformé en un témoin légitime de ce réchauffement climatique. J’œuvre pour que les comportements des hommes et des sociétés évoluent et que puissent se développer de nouvelles technologies et de nouvelles sources d’énergie.

Si vous deviez ne garder qu’une seule expédition, laquelle choisiriez-vous ?

J-L. E. : C’est difficile de répondre à cette question car il m’est impossible de faire un choix. Toutes mes expéditions ont une particularité et elles m’ont toutes apporté quelque chose dans la construction de mes nouveaux projets. Chacune est une entreprise qui a nécessité de trouver des moyens humains et financiers. Etre explorateur c’est être entrepreneur. J’invente ma vie, mes projets et mes différentes expéditions à plusieurs ou seul m’ont appris qu’on ne repousse pas ses limites mais qu’on les découvre. Il m’a fallu et il me faut encore faire preuve de persévérance. Mes projets allument une lumière en moi, j’ai le sentiment d’avoir trouvé quelque chose qui m’anime, me passionne et me donne l’énergie de continuer et d’avancer. Bien sûr, il y a des seuils de découragement, des paliers à franchir mais le plus important est de ne pas négliger notre désir, de garder la voie et rester concentré sur ce qui nous anime.

Avec votre notoriété et les nombreuses expéditions que vous avez menées, êtes-vous encore confronté à des difficultés pour mener à bien vos projets ?

J-L. E. : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, oui je suis toujours confronté à des difficultés dans les projets d’expéditions que je lance. Cependant, avec l’expérience, j’ai appris comment les faire grandir et comment trouver les mots justes pour en parler et réussir à embarquer dans mon aventure ceux et celles qui m’aideront à faire remonter le rêve à la surface. Il ne faut surtout pas perdre patience, prendre le temps, et ne pas avoir peur d’être ambitieux. C’est ce que j’essaye d’enseigner aux personnes qui m’entourent sur ces projets. Le projet Polar Pod que je dirige actuellement en est encore l’exemple. Cela fait 7 ans que nous y travaillons. Le soutien entre 2010 et 2012 d’universités américaines, suite à des interventions aux Etats-Unis, a permis d’apporter la caution nécessaire à notre projet auquel participent aujourd’hui 42 institutions de 12 pays, dont bien sur un nombre important de scientifiques français. Le Président Macron a annoncé le soutien de l’Etat au One Planet Summit ainsi que celui du Ministère de l’Environnement. Il me revient de réunir les fonds auprès de partenaires dans le cadre d’un partenariat public-privé. Il a fallu du temps pour obtenir ces soutiens mais c’est une vraie reconnaissance du travail accompli par l’équipe qui porte cet ambitieux projet.

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